JARDINAGE (par Alain Lompech)

Je ne résiste pas au plaisir de vous faire lire cette chronique d'Alain Lompech paru dans le Monde daté du 9 juin 2005

 

 

Petites scènes animalières au début du mois de juin


Pendant trois jours, elle était là, et personne ne l'avait vue.
Trois jours à finir de faire tomber un pan de mur de 2 × 3 mètres, en partie écroulé cet hiver à cause d'un vieux lierre qui avait mangé la chaux avec laquelle il avait été monté voilà bien plus d'un siècle, ne laissant que le sable à lapin comme mortier. Trois jours à remonter le tout au ciment blanc et à débarrasser le sol jonché de débris de mortier, de petites pierres brisées mêlées à des débris de géraniums vivaces piétinés (pas grave, il en lève partout dans le jardin !). Quand, intrigué par un tas curieusement bien arrangé de feuilles et de tiges, on a préféré le soulever délicatement plutôt qu'à la fourche.


Surprise, sous le fouillis, couchée sur le côté, une femelle hérisson ­ avec cinq petits, aveugles mais plein de piquants, accrochés à
ses mamelles !

La veille au soir, on avait bien vu un hérisson se balader dans l'allée, mais jamais on n'aurait imaginé qu'il s'agissait d'une femelle qui avait fait son nid tout à côté du mur en reconstruction. Evidemment, on l'a laissée tranquille, la montrant juste à quelques amis de passage et au petit voisin, Robin, poète à ses heures, rondouillard et rigolard, qui s'en est approché, a regardé et a dit, sérieux comme un enfant peut l'être : "Il faut faire attention aux prédateurs !"

A part les chiens, peu nombreux dans le quartier, et les voitures, rares dans l'impasse qui dessert ces quelques maisons, on n'en connaît pas qui veulent du mal aux hérissons. Ils mangent une telle quantité de limaces ou d'escargots qu'il est inutile de sortir les granulés quand, par chance, cet animal, plein de puces et de tiques, vient élire domicile dans un jardin.

Une amie à qui nous parlions de notre hérisson s'exclama : "Le mien sort chaque soir à 8-10 heures faire son tour devant la maison. Je lui
donne sa rasade de croquettes à chat, et il repart."


LA COLONIE DE CHAUVES-SOURIS


Un peu plus loin, derrière la maison, sous une vieille dalle posée sur la terre, un orvet magnifique. Il part. Lui, on l'attrape et on le met à l'abri du dénommé Ficelle, un gros chat noir qui, mis au régime car il est un peu grassouillet, se venge sur tout ce qui bouge ! Musaraignes, souris, mulot, oisillons, mouches, papillons : tout y passe ! Même les lézards ! L'orvet aurait été bouffé en un rien de temps ! Il n'y a que les chauves-souris qui ne l'intéressent pas. Elles ont élu domicile comme chaque année entre le pignon ouest de la maison et sa parure de tuiles accrochées à la verticale. On sait qu'elles sont revenues car le toit de zinc est plein de leurs crottes, et, si l'on colle l'oreille aux tuiles en pleine journée, on les entend faire un petit bruit aigu. Le soir, à la nuit tombée, elles s'envolent et vont manger les insectes volants, dont elles nous débarrassent
avec une efficacité qui nous les fait chérir. D'autant que les chauves-souris sont protégées, qu'elles se raréfient autant à cause des pesticides qu'à cause du fait que les greniers sont quasi tous transformés en chambres. Elles n'ont donc plus de quoi se réunir et élever leurs petits ?

Pour le moment, elles ne sont pas très nombreuses, mais, comme chaque année, leur nombre va grandir, pour atteindre une bonne centaine.
Parfois, le soir, l'une d'elles entre dans la maison et tournoie, un peu paumée. Aucun risque qu'elle se prenne dans les cheveux !

Surtout ne pas crier, ne pas s'agiter. Faire au contraire le silence pour ne pas perturber son sonar, ouvrir les fenêtres en grand et
attendre qu'elle s'échappe, ce qui prend d'autant moins de temps qu'on ne fait aucun bruit.

Le lendemain, les vitres de la véranda étaient si propres qu'un oiseau ­ sans doute un tout jeune rouge-gorge tant ce petit passereau avait l'oeil rond et vif ­ en a hélas heurté une de front. Assommé net. Ramassé avant que le chat ne le chope, il a peu à peu rouvert les yeux, pour mourir quelques heures plus tard, un filet de sang au-dessus du bec, victime d'une hémorragie cérébrale, comme cela se passe neuf fois sur dix.


L'ÉNIGME DU CRAPAUD DISPARU


Le jardin, si l'on y vit bien, si l'on sait observer, est un petit univers avec ses bonnes et mauvaises nouvelles, ses naissances et ses
morts violentes. Il ne faudrait pas intervenir, laisser la nature faire son oeuvre. Mais bon, rien à faire : si un oiseau tombe du nid ou si l'on peut sauver un piaf, ramasser un martinet incapable de se renvoler faute d'avoir les pattes suffisamment longues pour pouvoir battre des ailes, le jardinier s'en mêlera.

Ecrivant cela, une interrogation : où sont passés les crapauds qui chantaient chaque soir leurs beaux appels flûtés ? Ils se cachaient
toujours dans le même coin, à l'ombre, près d'un mur, sous les grandes feuilles d'hostas bicolores. Il n'y en a plus. On ne les voit plus, on ne les entend plus. Ils étaient si beaux, si gros, patauds et si peu peureux.
Le chat ne les a pas mangés.

On ne sache pas que les chats-huants et les chouettes effraies,qui elles pullulent et font du raffut toutes les nuits, les mangent. Le ru
coule toujours qui n'est jamais à sec. Où sont-ils ? Il y a belle lurette que les reinettes vertes ont disparu des pommiers dans lesquels elles passaient une bonne partie de l'été ; mais les crapauds, où sont-ils donc passés ?

Alain Lompech Le Monde
Article paru dans l'édition du 09.06.05

 

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